Je vais garder les litres de larmes qui vont couler en Ă©crivant ces lignes, ils pourront
peut-ĂȘtre me servir dâĂ©lectrolytes sur la prochaine course.
Posons le contexte, voici 15 mois que jâattends cette course, que jâattends ce moment,
que je rĂȘve dâĂȘtre ici. Durant ces 15 mois jâai vĂ©cu des hauts et des bas, au moment les
plus hauts je me disais que jâallais vivre le plus jour de ma vie ce 30 aoĂ»t 2024 et au
moment les plus bas je me disais que je ne devais en aucun cesser de me battre pour
aller vivre le plus jour de ma vie.
Quoi quâil se soit passĂ©, jâaimerai que tu saches que jâai passĂ© ma plus belle journĂ©e en
montagne, quâil sera dur dâĂ©galer un jour tout ce que jâai vĂ©cu et que je ressors que plus
forte et fiĂšre de cette aventure.
Je suis dĂ©solĂ©e dâavance si mon rĂ©cit nâest pas trĂšs clair mais je trouve trĂšs diOicile de
mâĂȘtre des mots sur tout ce que jâai vĂ©cu, je vais faire au mieux mais il se peut que je sois
confuse ou que je mélange des moments de course.
Aussi, avant de commencer, je voudrai aussi te dire que ce vendredi 30 aoĂ»t jâavais dĂ©cidĂ©
dâĂȘtre trĂšs Ă©goĂŻste et de ne penser quâĂ moi mais aujourdâhui jâaimerai juste dire un grand
merci à tous ceux qui de loin comme de prÚs ont participé à la préparation de cette course,
ont Ă©tĂ© prĂ©sent (peu importe de quelle façon) durant la course, mâont soutenu et me soutienne
aprĂšs cette course.
Alors je ne sais pas exactement quel pouvoir à le corps mais je crois que le miens est doté
dâune grande amnĂ©sie. Je suis lĂ entrain de te dire que jâai vĂ©cu le plus jour de ma vie alors
quâen fait je nâai jamais connu lâenfer que jâai pu connaĂźtre sur cette course. Je sais au fond
de moi que jâai vĂ©cu des moments diOiciles, mĂȘme de souOrances, et si je lâoublie mes
proches sont lĂ pour me le rappeler et pourtant, je nâarrive absolument pas Ă mâen
souvenir. Mon souvenir, câest celui dâun bonheur absolu en montagne.
Pour ne pas te cacher tout lâenvers du dĂ©cor, tu dois savoir que la prĂ©paration de mon
assistance à cette course a été pleine de gros débats, de belles disputes mais rempli
dâamour. Nous avons passĂ© des soirĂ©es entiĂšres Ă expliquer Ă lâun des membres de ma
famille (pour ne pas le citer) quâil Ă©tait impossible de se rendre Ă tous les ravitaillements
car les navettes nâallaient pas assez vite. Jâai passĂ© des heures Ă rĂ©expliquer quel sac il
fallait prendre pour quel ravitaillement. Finalement, je perdrais plus de temps à faire ça
puisque je me suis rendue compte le jour de la course quâils nâen avaient absolument rien
Ă foute (pardon pour la vulgaritĂ©). En eOet, mon pĂšre sâest retrouvĂ© au ravitaillement oĂč il
ne devait pas ĂȘtre parce que tu comprendras bien sĂ»r que ma mĂšre en avait marre dâĂȘtre
toute seule. Puis surtout, elle ne se rendant pas compte quâelle allait se faire assassinat
si je nâavais pas ma paire de baskets au prochain ravitaillement. Mais par chance ou
malchance, je nâai pas eu Ă commettre de meurtre. Surtout, je ne prendrais plus la peine
de sĂ©parer mes sacs puisquâen arrivant aux ravitaillements tout Ă©tait absolument
mĂ©langĂ©. Jâadore mes parents, je ne les changerai pour rien au monde. Et surtout, on adore ces moments car aujourdâhui ces souvenirs sont simplement merveilleux, on est si heureux dâavoir vĂ©cu ça ensemble tous les 4.
Bon maintenant que tu sais que ce nâĂ©tait pas facile de tout goupiller, nous pouvons nous
rendre sur la ligne de départ.
Vendredi 30 août, 7h30 Courmayeur. Je crois que je ne réalise absolument pas que je suis
là pour prendre le départ de la CCC, pour courir 100km dans le massif du Mont-Blanc.
Mais mây voilĂ , 8h15 jâentre tranquillement dans le sas de dĂ©part. 8h45, grosse excitation
qui monte et agitation autour de moi. Discours de Ludo Collet, musique UTMB, larme qui
coule Ă lâĆil, jây suis et je suis prĂȘte. Je me tiens lĂ , bien droite avec ma tenue de guerriĂšre,
mes Ă©couteurs dans les oreilles et je me sens prĂȘte. Je me suis levĂ©e, bien trop tĂŽt, mais
dĂ©terminĂ©e Ă passer une journĂ©e merveilleuse, Ă vivre des Ă©motions comme je nâen avais
jamais vĂ©cu. JâĂ©tais stressĂ©e mais pas trop, jâavais hĂąte, mon corps entier autant ma tĂȘte
que mes jambes avaient hùte. 9h, on est parti, des milliers de fauves lùchés dans
Courmayeur, câĂ©tait beau et je pense que mĂȘme si ça se revit ça reste Ă chaque fois
unique.
On attaque doucement, quâest-ce que je raconte, pas doucement du tout, la premiĂšre
montĂ©e celle qui nous mĂšne vers la TĂȘte des Tronches. Faut que tu saches que lĂ -bas il
nây a pas de montĂ©e qui va doucement, quand tu montes, tu montes. Celle-ci, elle
attaque fort, histoire de te faire comprendre que tu nâes pas lĂ pour les vacances. Avec la
premiĂšre montĂ©e vient les premiers bouchons et les seuls dâailleurs, mais pas de stress,
pas de panique, la course et la journée seront longues alors on suit le petit train, on rigole
avec les copains de devant et de derriÚre. Une fois arrivée au sommet ça se disperse et
câest parti pour rejoindre le refuge Bertone. Je me souvenais bien de cette partie, elle est
si belle. On avait fait plein de photos et de vidéos avec Ana pendant la reco, le Mont-Blanc
y est si beau vu de lĂ . Au refuge, il y a le premier ravitaillement, je mâĂ©tais dit que je nây
arrĂȘterai peut-ĂȘtre pas car jâavais encore 2 flasques pleines et assez Ă manger sur moi.
Mais le coca mâa fait de lâĆil, jâai repensĂ© Ă la chaleur et Ă ce qui me restait jusquâau
prochain ravitaillement alors jâen ai profitĂ© pour manger de la pastĂšque et faire le plein de
mes flasques, histoire dâavoir 2 litres sur moi et jâĂ©tais bien contente car jâai vu 1litre5
jusquâau ravito dâaprĂšs.
Je voulais, jâĂ©tais bien câĂ©tait beau, la musique Ă©tait aussi bonne que la mĂ©tĂ©o, je sentais
ce petit flow du plaisir quand tu surfes en montagne. CâĂ©tait excellent, jusquâĂ ce que je
loupe un virage et que je mâĂ©tale littĂ©ralement dans le ravin. Ce nâest quâen rentrant chez
moi que je découvre des plaies dans le dos, des hématomes sur mes bras mais en me
relevant jâavais bien vu les plaies entre mes jambes. Bref, je me suis pris une belle boĂźte
et câest peu dire. Mais jâĂ©tais dans ma course, rien ne me dĂ©concentrait alors aprĂšs avoir
hurlĂ© fort en tombant car jâavoue avoir eu trĂšs peur, jâai dit au monsieur qui mâa aidĂ© :
« Merci beaucoup, tout va bien, on peut repartir. » et je nâai pas attendu sa rĂ©ponse pour
me remettre Ă courir.
Jâarrive doucement mais toujours avec un grand sourire au 2Ăšme ravitaillement vers le
km25. Lorsquâune bĂ©nĂ©vole me voit galĂ©rĂ© avec mon iso et mes flasques, elle me vient en
aide et me demande si jâai besoin dâautre chose. Je lui dis que jâaurai besoin dâeau pour
me mouiller, elle me répond de ne pas attendre aux robinets à la sortie du ravitaillement
mais dâaller me mouiller dans la riviĂšre un peu plus loin. Je la remercie et me remet Ă courir mais avant de partir elle me dit « Attends petite, je veux juste te dire que tu as lâairbien et si heureuse dâĂȘtre ici ! ». Elle me dit cela avec un Ă©norme sourire lorsque je la remercie en lui disant que câest gentil, elle termine en me disant « Ce nâest pas gentil, câest vrai alors maintenant file ! ». Merci Ă cette bĂ©nĂ©vole qui a trouvĂ© des mots beaux pour me donner le sourire alors que je savais que jâarrivais au pied du Grand Col Ferret. Mais jâavance vraiment bien, je profite des montĂ©es, je kiOe les descentes. Je nâoublie jamais de manger et de boire, je mouille ma casquette, mon visage, ma nuque, mes bras et mes jambes Ă chaque fontaine ou ruisseau. Bref, jâadore, je suis bien et je ne pense Ă rien. Si, je pense que jâai de la chance, je me demande si je me rends compte de ce que je suis en train de faire, je me dis que je suis une grande malade mais jâadore.
Jâarrive tranquillement Ă la descente vers la Fouly. A lâentrĂ©e de la Fouly, mon frĂšre
mâattend et court un petit moment avec moi jusquâau ravitaillement oĂč il est juste venu
voir comment je vais avec mon pĂšre. Et lĂ , je vais te raconter mon plus beau souvenir de
course ou en tout cas une chose qui mâaura marquĂ© dans cette course du dĂ©but Ă la fin.
Petite parenthĂšse importante : Mon frĂšre, celui que jâai emmenĂ© Ă la Plagne, celui qui rĂąle,
celui qui mâa toujours demandĂ© pourquoi je fais ça, celui qui ne comprenait jamais ce qui
se passait pour aimer ça. Tout avait changĂ© et je lâai compris quand le matin, Ă 5h40 je
mâinstalle Ă lâarriĂšre de la voiture avec lui, je souOle un bon coup et je lui dis « Je crois que
jâai peur ». Il mâa pris dans ses bras et mâa dit « Tout ira bien, tu vas faire ce que tu aimes ».
Une larme Ă couler le long de ma joue alors il mâa serrĂ© fort contre lui. Jâai compris Ă ce
moment-lĂ quâaujourdâhui il comprenait tout ça et quâil me soutiendra peu importe ce
quâil mâarrivera Donc, mon frĂšre est lĂ Ă la Fouly. Quand il me voit, quand je le vois, nous sourions et je me souviens des ses mots « Tif câest gĂ©nial ce que tu fais, tu es forte, câest beau. Tout va
bien pour toi ? Tu es en forme ? ». Jâai vu des Ă©toiles dans ses yeux et jâai su quâil Ă©tait fiĂšre
de moi, ça mâa rempli de force, de courage et dâenvie. Je mâarrĂȘte au ravitaillement de la
Fouly pour encore manger de la pastĂšque, boire du coca et faire le plein sous les yeux de
mon pĂšre et de mon frĂšre. Ils me font chacun un bisou avant de me donner du courage et
de me dire que je dois continuer comme ça et que tout le monde est derriÚre moi.
La suite jusquâĂ Champex est simple sur le papier mais plutĂŽt diOicile aprĂšs 40 bornes
car ça tape fort. Mais on sâaccroche jusquâĂ la montĂ©e vers Champex. Jâexplose
doucement dans la montée de Champex mais je me tiens au fait que je retrouve maman
pour le 1er ravitaillement avec assistance au lac. Et petite surprise dans la montée se
trouve la copine CloĂ© avec un peu de musique et beaucoup de mots dâencouragements.
Jâarrive au ravitaillement, câest le km54 environ, je pleure et je dis Ă maman que câest le
truc le plus dur que jâai fait de ma vie. Alors ici sache que je pleure vraiment parce que
câest dur et que je me demande ce que je fous ici. Maman gĂšre comme un petit chef, elle
fait comme si elle ne mâavait pas entendu, me dit de sortir mes flasques pour quâelle
puisse aller les remplir, que tout est prĂȘt sur la table et quâelle revient avec les flasques
pleines et de la pastĂšque dans 2 minutes. Lorsquâelle revient, elle me force un peu Ă
manger de tout et me dit quâil est maintenant lâheure de repartir avant dâajouter quâelle a
60 euros de hors forfait car elle a utilisĂ© trop dâinternet en Suisse. Je nâai rien compris Ă sa
derniÚre phrase qui me laissera un sujet de réflexion durant environ les 5 prochains km
de ma course. Elle est drĂŽle cette maman quand mĂȘme.
Je repars de Champex avec les encouragements de toutes les personnes autour du ravito,
câest beau toutes ces personnes et ça donne envie dâavancer. Je cours bien jusquâau pied
de lâalpage Bovine oĂč je commence Ă marcher mais avec un bon rythme dans cette belle
montĂ©e que jâapprĂ©hendais beaucoup. Et lĂ , câest le dĂ©but de la fin, lâenfer qui dĂ©marre.
Alors, je suis dĂ©solĂ©e, je nâarriverai pas Ă faire un roman sur mon enfer, je nâarriverai pas
non plus Ă justifier mes choix et je ne suis pas certaine de pouvoir raconter cette partie
de la course. Je ne veux pourtant en aucun cas la cacher et je souhaite ĂȘtre totalement
transparente mais je ne me souviens pas de grand-chose, peut-ĂȘtre un tri sĂ©lectif de mon
corps et de mon esprit.
En tout cas, le dernier souvenir de joie que jâai pu avoir câĂ©tait dans cette montĂ©e, je vois afficher
62 km sur ma montre avec un chrono de 9h20 et je mâentends me dire « tu es solide ma petite, câest ce que tu fais y a 2 ans sur la 6000D alors accroche toi, câest beau là  » puis jâai senti mon pied, ma cheville. Jâai essayĂ© de lâignorer, de me dire que câĂ©tait juste bloquĂ©, puis une larme Ă couler sur ma joue quand jâai posĂ© mon pied sur un caillou et que jâai eu mal, extrĂȘmement mal. Jâavais dĂ©cidĂ© de faire cette montĂ©e et de voir comment jâallais ĂȘtre dans la descente, peut-ĂȘtre quâen dĂ©roulant ça irait mieux. Non, ça nâallait pas mieux. Jâai pris mon tĂ©lĂ©phone et jâai contactĂ© les personnes de ma liste dâurgence, jâai pleurĂ© beaucoup et je leur ai demandĂ© comment jâallais faire si je devais mâarrĂȘter.
Je me suis accrochĂ©e jusquâĂ Trient, lĂ -bas jâai vu des supers kinĂ©s, ils mâont strapĂ©e et mâont dit dâaller me poser un peu et de bien manger quelque chose de chaud car avec tout ce temps mon corps sâest refroidi.
Je repars de Trient prĂȘte Ă rallier la ligne dâarrivĂ©e. Jâai mĂȘme trottinĂ©, câest pour te dire, pourtant, 3km plus loin je me disais que jâallais faire demi-tour tellement jâavais mal quand je posais le pied. CâĂ©tait dĂ©cidĂ© Ă Vallorcine jâarrĂȘtais. Oui, je nâallais quand mĂȘme pas faire demi-tour jâavais un peu de fiertĂ© quand mĂȘme.
Finalement, Ă Vallorcine je vois Laura et une fille me propose de terminer en marchant, alors pourquoi pas ! Mais non, au Col des Montets, jâai effectuĂ© un ultime questionnement avec moi : Tiffany quel est ton objectif ? Quel est ton rĂȘve ? Que fais-tu ici ? Je rĂȘve de terminer cette CCC, de passer cette arche dâarrivĂ©e avec le sourire, beaucoup de plaisir et mon objectif câĂ©tait de passer une journĂ©e de kiffe en montagne, accompagnĂ© de ce flow dont je te parlais mais je nây Ă©tais plus alors jâai dĂ©crochĂ© mon dossard avec beaucoup de fiertĂ©.Â
Une fois mon dossard dĂ©crochĂ©, ma montre arrĂȘtĂ©e jâai eu peur, peur de tous vous dĂ©cevoir mais surtout peur de dĂ©cevoir celui Ă qui jâavais mis des Ă©toiles dans les yeux toute la journĂ©e et quand il mâa dit « Tu ne me dĂ©cevras jamais, je ne suis pas capable de faire la moitiĂ© de ce que tu fais, tu as Ă©tĂ© belle ma sĆur, nous on tâaime » alors je nâavais plus aucun regret.
Jâai touchĂ© mon rĂȘve du bout de mes doigts mais un rĂȘve est fait pour ĂȘtre rĂ©alisĂ© correctement alors oui, jâai Ă©tĂ© trĂšs Ă©goĂŻste et je nâai aucun regret de lâavoir Ă©tĂ©, câest encore plus forte et dĂ©terminĂ©e que je reviendrai te voir Chamonix.
Un dernier mot pour remercier du plus profond de mon cĆur les personnes qui ont Ă©tĂ© lĂ physiquement, Ă savoir ma famille mais aussi les personnes qui Ă©taient prĂ©sentes de loin encore tard dans la nuit. Celles que jâai eu au bout du fil durant des heures, celles qui ont rĂ©pondu Ă tous mes messages, celles qui au moment de mon DNF mâont directement envoyĂ© un message et celles qui avaient mis un rĂ©veil pour vĂ©rifier mon arrivĂ©e au milieu de la nuit.Â
Le lendemain de la CCC, on mâa demandĂ© pourquoi jâaime ça, pourquoi je fais ça et jâai simplement rĂ©pondu : parce que jâaime vivre, dans ces moments-lĂ je me sens vivante, je me sens excitĂ©e mais surtout lors de cet effort lĂ je vis les Ă©motions dâune vie entiĂšre. Jâaime ça car le temps dâune journĂ©e jâai lâimpression dâavoir vĂ©cu une vie.
Jâai hĂąte de remettre mes baskets et filer vers lâavenir pour voir ce quâil me rĂ©serve.
Article Tiffany Prinz.
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