Voyage solo

La rentrée est déjà bien derrière moi et l’automne pointe doucement — enfin, plutôt très
radicalement — le bout de son nez. Alors que les soirées bien au chaud sous un plaid
démarrent gentiment, je prends le temps de t’écrire sur mon petit trip solitaire dans les
Pyrénées. Peut-être que se remémorer des souvenirs estivaux augmentera la
température et fera venir le soleil.
En début de saison — on peut presque déjà dire l’an dernier —, lorsque j’ai réfléchi au
calendrier 2025, je ne voulais pas m’imposer de prépa trail durant l’été.
Je voulais me laisser la liberté de passer des vacances n’importe où, sans réfléchir
aux séances que j’allais devoir caser parce qu’un objectif m’attendrait en fin d’été.
Alors, j’avais tout l’été de libre. Tu me diras : c’est ce que j’ai demandé.
Mais ce vide me paraissait quelque peu effrayant. J’avais tout de même besoin
d’un projet qui me motiverait, de quelque chose qui me fasse vibrer, que j’aime,
pour continuer à m’entraîner avec un but. Et ce que j’aime, c’est passer du temps en montagne.
J’allais passer mon mois d’août à Bordeaux ; or, cette ville n’est pas très loin des Pyrénées.
J’ai commencé à discuter à droite, à gauche, d’un petit trip dans les Pyrénées — en
rando, en trail, ou les deux, peu importe. En vain. Personne n’était libre à ce moment-là
ou le projet ne plaisait pas à tout le monde. Très bien. Si c’est comme ça, je partirai
toute seule !
Partir toute seule, c’est une idée qui me trotte dans la tête depuis un moment. J’ai
toujours voulu partir seule en vacances. Eh bien bingo ! C’est comme des vacances de
partir 4 jours toute seule en montagne !
Alors, dès le mois de février, je me mets à la recherche d’un itinéraire. Je me renseigne
sur l’ensemble du massif des Pyrénées, je prends le temps de lire des articles, de
comparer des tracés, tout ça tout ça. Vraiment, j’avais à cœur de faire quelque chose
qui m’appartienne. Une des éditions de Montagne en Scène mettait en avant un film
avec Martin Kern — si je ne dis pas de bêtises — sur le trail de la PicaPica, dans les
Pyrénées ariégeoises. J’avais bien envie d’aller faire un petit tour par là-bas. Je me suis
donc concocté un beau tracé de 4 jours, qui démarrait en Ariège, puis passait en
Espagne et en Andorre. J’ai fait valider tout ça par mon coach, et c’était parti ! Enfin,
presque…
Au mois de mai, je réserve les refuges pour partir 4 jours en août.
Et là, la grande panique de ma maman d’amour entre en scène :

— Mais qu’est-ce que tu vas faire s’il t’arrive quelque chose là-bas, toute seule ?
Mes réponses :

• La même chose que s’il m’arrivait quelque chose dans les Vosges.
• Tu te poserais cette question si c’était mon frère ?

— Tu n’as pas peur de dormir toute seule dans les refuges ?

• Si, maman, j’ai peur. Mais si je ne faisais pas tout ce dont j’ai peur, alors je ne
  ferais rien. J’avais peur de courir 50 km, puis 100 km. J’avais peur aussi de courir
  la nuit. Parfois, j’ai même peur quand je pars courir toute seule tôt le matin à
  côté de chez moi. Mais j’y vais, parce que je ne laisse pas la peur dicter ma vie.
  Bon, bref. Y en a eu un milliard des questions comme ça… et même moi, je
  commençais à me les poser. Mais STOP ! Je me connais. Je sais lire une carte. J’ai une
  montre qui me donne le tracé. J’ai fait valider l’itinéraire pour être sûre que c’était
  faisable dans le temps imparti. Et je suis déjà partie en montagne.
  Tout ira bien.
  Nous y voilà : au mois d’août. Les jours passent et je me rends de plus en plus compte
  que je vais partir seule dans cette immense montagne, loin de chez moi, et où je ne
  connais rien. Oui, j’ai un peu peur. Mais oui, ça va être beau.
  La météo s’annonce extraordinaire. Dernières vérifications… petits coups de panique :
  je n’arrive pas à tout faire rentrer dans mon sac. Tant pis, il faut apprendre à faire des
  choix. Et je n’ai pas tout le tracé sur la carte papier ? Tant pis aussi. Je devrai faire
  confiance à ma montre, mon téléphone et la technologie.
  Et c’est parti !!! Environ 4h de route depuis Bordeaux pour rejoindre un petit hameau
  nommé Mounicou, pas très loin d’Auzat. J’arrive dans ce minuscule village vers midi. Je
  décide de faire un petit tour à pied pour découvrir les environs. Je longe un cours d’eau
  nommé l’Artigue et je tombe sur une très belle cascade. L’endroit est très touristique, il
  y a plein de monde. Je pique-nique là. Je veux mettre un podcast… pas de réseau. Je me
  dis que les 4 prochains jours vont être longs. Heureusement, j’ai emporté un livre (il est
  dans la voiture). Puis je me demande ce que je fous là. Pourquoi je me lance toujours
  dans ce genre de défis ? Qui m’a demandé de faire ça ? Personne. J’ai décidé toute
  seule. Puis, je relève la tête. C’est si beau. Je me répète plusieurs fois que j’ai tellement
  de chance d’être là. Je ne devrais même pas me poser toutes ces questions. La réponse
  est sous mes yeux.
  Après ce petit moment de balade paisible, je me rends tranquillement à mon gîte/refuge
  tenu par deux petites mamies. Elles étaient si mignonnes et accueillantes. Elles me
  demandent d’où je viens, ce que je vais faire, et m’effraient un peu en me disant :
  — Bon courage ma petite, ça nous a l’air bien difficile ce que tu entreprends… Ce ne
  sont pas les Alpes ici. Je me répète calmement que tout va bien se passer en
  m’installant dans le refuge, qui n’est autre qu’une petite maison avec un dortoir, une
  douche et une cuisine en commun.
  Après mon installation, je me rends dans la cuisine pour lire tranquillement et me poser
  avant le repas du soir.

C’est là que j’entreprends des conversations avec toutes les personnes — les hommes,
en fait — qui s’arrêtent ici pour la nuit. Nous échangeons sur nos parcours, et l’on me
fait encore une fois remarquer que mes journées ne vont pas être de tout repos.
Je prends un peu peur, mais je me dis aussi que si je n’en étais pas capable, on ne
m’aurait pas laissée partir seule pour faire ça. Que ce soit les copains à qui j’en ai parlé
ou mon coach… Puis mince alors, quand est-ce que je vais apprendre à avoir confiance
en moi ?
Comme la bonne trouillarde que je suis, je décide de prendre le petit-déjeuner très tôt le
lendemain et de partir au plus vite, pour être sûre de pouvoir rejoindre l’Espagne et le
refuge pour le repas du soir.

Jour 1 – Montée en puissance
Et c’est parti pour la première journée !
Mon tracé annonçait environ 18 km et 2000 m de D+. Je ne m’étais absolument pas
questionnée sur ce ratio dénivelé/kilomètre. Je me suis dit : s’il y en a qui font du trail ici,
j’y arriverai bien en une journée.
J’allais passer au pied des Pics d’Estats et du Montcalm pour passer en Espagne.
Je commence ma journée en courant, puis très vite je me mets à marcher dans une
forêt où le chemin grimpe pas mal.
Je sors doucement de la forêt, je lève la tête…
Alors là, c’est fabuleux — et je n’ai aucun regret —, c’est certain que je vais voir des
choses incroyables durant les prochains jours.
Mais merde alors, c’est là-haut que je dois aller ?
Je comprends vite que ça va monter fort, que les 2000 mètres de D+ vont se concentrer
sur quelques kilomètres seulement.
C’est tellement incroyable !
D’abord, c’est beau, c’est grand, c’est vaste, c’est paisible. Il n’y a aucun bruit.
Mais surtout, c’est dingue de pouvoir monter autant en si peu de distance, et se
retrouver si haut, dans des endroits si rares et extraordinaires.
Dans la montée, je rencontre un local que je dépasse une première fois. Puis il me
rattrape et commence à me demander ce que je fais avec mon sac à dos, où je vais, et
si je compte monter à ce rythme tout le long (en rigolant).
Je lui explique mon parcours, on échange sur nos expériences en trail, et finalement, on
grimpe ensemble.
Ça a fait passer la montée bien plus vite que toute seule, tout de même ! Je retiendrai
qu’il est bénévole tous les ans sur cette fameuse PicaPica.
Et arrivée en haut, je retiendrai aussi que ce n’est pas tout de suite que j’irai la faire —
voire jamais. Une fois arrivée à la porte de Stollo, qui me mène à l’Espagne, nous nous
séparons en nous souhaitant bonne route.
Je me retrouve seule, et j’attaque une descente de l’enfer.
Je me disais que je pourrais courir dans les descentes… tu parles ! Ce terrain, c’est pire
que la montée. Du coup, plutôt que de pester contre les cailloux, je me rends compte
que je viens de raconter tout mon parcours à un inconnu. Alors je prends légèrement peur…
Puis finalement, je préfère pester contre les cailloux que m’imaginer dans un film
d’horreur. Après avoir râlé une bonne demi-heure, je me rappelle qu’il suffit de lever la
tête pour être apaisée.
Je continue mon chemin, et je commence à m’inquiéter un peu : au bout de 19 km, je ne
suis toujours pas arrivée… On avait dit 18, mince alors ! Vers le 20e kilomètre, je vois le
refuge. Et quelques minutes après, j’y arrive — bien soulagée — en ne pensant qu’à une
chose : boire un Coca. Parce que c’est décidé : je boirai un Coca à chaque fois que
j’arriverai dans un refuge. J’entre doucement dans le refuge, et là, je me rends compte
que tout le monde parle espagnol… Problème : je ne sais pas prononcer un mot dans
cette langue. Je vais donc devoir me débrouiller avec mon anglais très approximatif.
J’arrive à me faire comprendre, et je discute même tout le repas avec des Américains —
même si je ne suis toujours pas certaine qu’ils aient compris tout ce que j’ai voulu leur
raconter.

Jour 2 – Savane glauque, KitKat et faux plat
Le deuxième jour était celui où je n’avais pas pu tracer l’itinéraire sur une vraie carte.
Mais le soir précédent, un gentil monsieur espagnol m’a entendue dire que j’allais en
Andorre, et il m’a dit qu’il rejoignait le même refuge le lendemain avec sa femme.
Je suis nulle en anglais, mais j’ai su me débrouiller pour qu’il me prête sa carte afin de
vérifier mon tracé.
Finalement, je sais me débrouiller toute seule !
Je pensais que :

• le premier jour allait être dur parce que c’était le début, avec un ratio km/D+
  élevé ;
• le deuxième jour allait être très dur parce que je devais faire 27 km (j’ai déjà fait
  pire, mais le terrain ici n’est pas simple) ;
• le troisième, ça irait, c’est le plus simple ;
• et le quatrième, ce serait la fin, donc forcément plus motivant.
  Comme j’étais arrivée assez tôt au refuge (vers 15h) le premier jour, je me suis dit que
  ce n’était pas nécessaire de partir plus tôt le lendemain. Mais ce monsieur espagnol,
  avec sa carte, m’a un peu mis la pression… alors c’est décidé : je partirai au lever du
  jour. Je ne vais quand même pas partir à la frontale, faut pas abuser !
  Le deuxième jour commence doucement, avec de jolis petits singles où je trottine avec
  beaucoup de plaisir. Puis je me perds une première fois. Quand je retrouve le chemin, je
  me retrouve dans un endroit très sombre, humide, et franchement glauque — rempli de
  carcasses de bétail, dont on devinait les crânes et les côtes. Un peu comme dans le
  côté obscur de la savane du Roi Lion. Bref, j’essaie de marcher vite, car je ne croise
  personne depuis des heures, et je commence à m’imaginer mes réactions si je tombais
  nez à nez avec un loup ou un ours. C’est vrai, je n’avais pas anticipé ça. Il fallait vite
  arrêter d’y penser, car je ne savais pas du tout quoi faire en cas de rencontre.

Après cet épisode de peur imminente, je retrouve vite de jolis petits lacs, des campeurs,
des randonneurs. C’est très mignon. Je suis à nouveau totalement épanouie de me
retrouver ici… Jusqu’à ce que je me rende compte que le tas — enfin, que dis-je, la
montagne — de cailloux à ma gauche est l’endroit que je vais devoir grimper pour
passer la porte qui me mènera en Andorre. Les chemins étaient incroyables. Il y avait
des troupeaux de chevaux. Il faisait si beau.
J’arrive dans un village d’Andorre où je pensais trouver un petit restaurant, mais rien.
Alors je me contente de mes deux mini-sandwichs faits le matin au refuge et des KitKats
que l’Américaine m’a gentiment donnés. J’arrive finalement au refuge par un immense
chemin forestier en faux plat montant, interminable… et que je vais
devoir redescendre le lendemain.
Elle n’était pas si terrible, cette journée. Le refuge est magnifique. J’y arrive vers 14h,
alors j’en profite pour siroter un Coca sur un transat, en plein soleil, sur la terrasse, avec
mon livre.
Ce soir-là, au refuge, je retrouve un monsieur que j’avais rencontré le premier soir,
avant de démarrer mon périple. Il me raconte qu’il fait le GRP, la traversée des
Pyrénées, en plusieurs parties depuis deux ans. Il marche depuis 5 jours, et il marchera
en tout 25 jours. Alors j’admire simplement les gens qui marchent si longtemps, seuls.
Parce que moi, je ne me supporterais pas, seule, durant tant de jours. Il n’est
vraiment pas simple de se retrouver face à soi-même si longtemps. On est là, seul·e
face à ses propres pensées, ses propres démons. L’introspection, ce n’est pas toujours
facile… mais ça fait toujours grandir.

Jour 3 – Mauvaise idée du siècle
J’attaque mon 3e jour vraiment pas trop tôt. J’ai bien compris que je n’avais plus besoin
d’avoir aussi peur, même quand on me disait que ça allait être compliqué de boucler
mon trajet en une journée. Finalement, j’aurais peut-être dû avoir peur ce jour-là.
Je pars le matin en me disant qu’il est peut-être possible de faire les deux dernières
étapes en une seule journée. Oui, ça fait encore une journée à plus de 25 km, mais c’est
faisable. Alors je me laisse le temps de réfléchir, de voir comment je me sens en
arrivant au refuge du jour 3. Bon, en vrai, je suis têtue. Et quand j’ai une idée en tête, il
est difficile de me l’enlever. Je sais donc dès le départ que ce soir, je retrouve ma voiture
direction Bordeaux. Et… ce n’était sûrement pas la meilleure idée du siècle.
Autant dire que ce jour-là, j’ai appris :

• Qu’il ne fallait jamais négliger le D+ ;
• Qu’il fallait parfois se méfier de ce qu’on nous dit.
  Mais quand même… Depuis le début, on me disait que ça allait être difficile, que j’y
  mettrais la journée… et j’y arrivais toujours bien dans les temps. Alors, quand on m’a dit
  : « il y a un passage technique », j’étais loin d’imaginer que j’allais me retrouver face
  à des cordes et des échelles.

Après réflexion, c’était celle-ci la journée la plus difficile.
Mais ouah… C’était incroyablement beau. Je n’avais jamais vu autant de cailloux, mais
je n’avais jamais vu non plus autant de lacs dans une seule journée. Je n’avais jamais
mangé une omelette et bu un Coca aussi exceptionnels. Et je n’avais jamais été aussi
contente de retrouver ma voiture et de rentrer dans un appartement où il faisait 45
degrés.

Conclusion – De la peur à la fierté
Bref, je suis partie, trois jours, seule en montagne.
Et si tu ne le fais pas parce que tu as peur, je peux te dire une chose : tu loupes quelque chose.
Oui, j’avais la trouille. Mais finalement, je n’ai pas eu beaucoup plus peur que quand je
fais une sortie de 5 heures dans le fin fond des Vosges, ou que j’entends un bruit bizarre
seule en forêt. Et surtout, c’est assez incroyable comme il est possible de se surprendre soi-même.
Pourtant, des défis sportifs et personnels, j’en ai déjà vécu.
Des limites, j’en ai déjà atteintes et dépassées.
Mais là, c’était différent.
C’était de la surprise. De l’adrénaline. De la fierté.
Parce que j’avais réussi toute seule.
Je me suis débrouillée.
Je n’ai pas eu le choix : j’ai dû me faire confiance.
Et j’ai fait mes propres choix.

COUP DE CŒUR

Je n’ai pas de coup de cœur particulier à te partager.
Mais j’ai une petite idée du prochain que je pourrais te partager, et j’espère que cette
idée se concrétisera.
En attendant, je veux juste saluer, nommer et adresser mon admiration à toutes ces
femmes qui dépassent leurs limites, qui osent, qui tentent, qui nous inspirent, et qui
nous poussent à aller de l’avant.
Comme :

• Laetitia Bléger, avec sa récente ascension du Peak Lenin ;
• Constance, avec son ascension de l’Everest et ses performances en trail ;
• Émilie Tissot, avec ses énormes performances sur route et sa grande humilité.

Merci à elles. Merci à toutes celles qui, sans le savoir, nous montrent le chemin.