Chronique n°6
La face cachée
Je recommence Ă Ă©crire ce texte pour la milliĂšme fois, ce nâest vraiment pas facile de poser es mots sur tout ça. Ici, je prends mon courage Ă deux mains plutĂŽt que de prendre mes jambes Ă mon cou et je me mets Ă nu pour te raconter ce qui se cache derriĂšre mon large sourire, tout au fond de mes baskets.
Ăa fait quelques temps que je te dis que jâentretiens une relation particuliĂšre avec le trail, la nature et la montagne. Je te dis quâon est un peu comme un couple, que ça sâapparente Ă de lâamour mais peut-ĂȘtre quâen fait câest de la reconnaissance.
« Aujourdâhui je le sais, jâen dois une belle au trail »
Je sais plus trop si je lâai dĂ©jĂ racontĂ© ou pas, je vais peut-ĂȘtre radoter, au pire tu sauteras ce passage. Jâai commencĂ© Ă courir en 2019 parce que je pouvais vraiment plus me voir dans un miroir, je savais plus comment mâhabiller, mon corps et moi câĂ©tait la 3Ăšme Guerre Mondiale. Je ne vais pas te dire quâaujourdâhui on sâaccorde Ă merveilles mais câest un autre sujet, en tout cas, on arrive Ă cohabiter et Ă se respecter mutuellement câest dĂ©jà ça. Bref, je commence Ă courir et pour faire rapide jâaime vraiment ça petit Ă petit. Finalement, je me sens de mieux en mieux, je trouve un Ă©quilibre dans ma vie entre le boulot, le sport, lâalimentation, les sorties, les amis et la famille. Jâai un peu la vie de rĂȘve. Jâai comme on lâentend souvent : TOUT
POUR ĂTRE HEUREUSE.
Mais, il y a 2 ans Ă peu prĂšs, malgrĂ© ce « tout pour ĂȘtre heureuse », jâĂ©tais dĂ©sespĂ©rĂ©ment malheureuse. Tu vas te dire et tu as le droit car je me le suis dit moi-mĂȘme : elle est barge la fille, elle perd le poids quâelle veut, elle a des amis au top et une famille en or, elle fait un mĂ©tier quâelle aime et elle se plaint, elle pleure, elle rĂąle, elle est triste. En fait, elle a un problĂšme, elle cherche un truc pour aller mal. Je me suis dit ça pendant longtemps, je me suis convaincue moi-mĂȘme que jâĂ©tais simplement folle, que je devais me bouger un peu au lieu de rester enfermer dans ma tristesse, que câest bon y a mille fois pire sur Terre.
Enfin bon, comme je suis lĂ Ă tâĂ©crire ma vie, autant te dire toute la vĂ©ritĂ©. JâĂ©tais absolument devenue une personne vide dâĂ©motions, ce que les autres pouvaient ressentir ça mâĂ©tait bien Ă©gal et je nâavais vraiment aucune pitiĂ© sur ce que je disais et la façon dont je le disais. En fait,
soyons honnĂȘte, jâĂ©tais horrible avec mes proches. Oui, encore plus horrible que sur les ravitaillements, allez on a le droit de rire quand mĂȘme. Il mâarrivait dâavoir des moments de crises de panique oĂč jâhurlais parce que je craignais de ne pas rĂ©ussir Ă tout faire dans une journĂ©e ou bien parce quâil fallait ajouter un imprĂ©vu Ă mon programme. Câest simple, soit je pleurais, soit je criais, soit jâĂ©tais beaucoup trop heureuse mais dans tous les cas je devais absolument tout contrĂŽler et il ne devait y avoir aucune place pour lâinattendu. Quand je te dis que jâĂ©tais trop heureuse, câĂ©taient vraiment des moments de folie, un sentiment oĂč tu es capable de faire en 24h ce que certains font en 1 semaine, genre tu es au-dessus de tout, forte et intouchable, ce que tu fais, tu le rĂ©ussis.
Jâai mis un peu de temps, un temps qui devait paraĂźtre interminablement long pour ceux qui partageaient mon quotidien, mais je mâen suis rendue compte et jâai dĂ©cidĂ© de me faire aider.
Je suis allĂ©e voir mon mĂ©decin traitant, jâai tout racontĂ© en lui disant : « Pour moi, câest vivable, je ne gĂšre pas vraiment mes Ă©motions mais franchement je mây fais. Je me rends bien compte que câest dans les extrĂȘmes, je vais trĂšs mal mais ce nâest pas bien grave puisquâaprĂšs je vais
aller trĂšs bien. En revanche, il faut que vous mâaidiez parce que je ne supporte plus de rendre malheureux les gens qui mâentourent, me soutiennent et mâaiment. »
Bon, on a fait plein de recherches, on a essayé plein de solutions, on a fouillé un peu dans mon passé de meuf un peu dépressive, toujours stressée, beaucoup trop angoissée en se rendant
compte que les petites dĂ©primes Ă©taient plutĂŽt frĂ©quentes, pas bien longues et frĂ©quemment suivies de moments oĂč tout Ă©taient merveilleux. Je te dis tout ça en accĂ©lĂ©rĂ© pour arriver au fait quâun beau matin, aprĂšs mâĂȘtre rendue chez un psychiatre tout en me demandant ce que je foutais lĂ , on mâa dit : voilĂ , madame, vous ĂȘtes cyclothymique.
La cyclothymie câest une forme de bipolaritĂ©. Une alternance de phase maniaque (forteeuphorie) et de phase dĂ©pressive (grosse baisse de lâhumeur). Un trouble de lâhumeur qui prĂ©sente des phases plus courtes et moins intenses que la bipolaritĂ©.
Face au diagnostic, jâai eu deux rĂ©actions : au moins je sais que je ne suis pas folle jâai vraiment un truc qui ne va pas, une forme de soulagement et dâun autre cĂŽtĂ© je me disais super alors on va dire que tout vient de lĂ , câest bon je suis casĂ©e. AprĂšs, je me suis calmĂ©e, jâai pris rendez-vous chez une psychiatre pas loin de chez moi. Quand jây suis allĂ©e, elle mâa dit que je devais prendre des mĂ©dicaments. Bien sĂ»r, je vais prendre un traitement qui va changer ma vie comme par miracle. Jâai longtemps refusĂ©, tout en allant la voir rĂ©guliĂšrement puis je me suis bien rendu compte que câĂ©tait rĂ©ellement invivable pour mon entourage alors jâai commencĂ© un traitement de rĂ©gulateur dâhumeur. Rapidement, mes humeurs se sont rĂ©gulĂ©es et je me sentais bien plus apaisĂ©e.
MAIS⊠je suis absolument certaine aujourdâhui aprĂšs plusieurs mois, plusieurs Ă©tapes de vie passĂ©es, du recul et lâarrĂȘt de mon traitement, que les mĂ©dicaments nâont pas tout fait.
Dâabord, jâai dĂ» accepter la prĂ©sence de ce truc et vivre avec ça mais il Ă©tait hors de question que la cyclothymie guide ma vie. Et pour se faire, je me suis trĂšs souvent rĂ©fugiĂ©e dans le sport. En fait, le trail câest un peu comme cette maladie, tu es tout en haut puis tu redescends tout en bas, tu vis des extrĂȘmes dans un temps trĂšs courts.
A partir de ce moment-lĂ , jâai pris Ă©normĂ©ment de plaisir Ă courir seule.
Je suis vraiment dĂ©solĂ©e si cet Ă©crit part un peu dans tous les sens mais câest plutĂŽt compliquĂ© de tâexpliquer tout ce quâil sâest passĂ©. JâespĂšre que tu comprendras ce que je veux te dire et que tu ne me tiendras pas rigueur de cette pagaille. Alors, je te disais que courir seule Ă©tait vraiment devenu un plaisir et mĂȘme au-delĂ câĂ©tait un besoin. LĂ oĂč avant jâavais besoin dâĂȘtre accompagnĂ©e, maintenant jâai davantage le besoin et lâenvie de me retrouver seule. Des moments de footing, des sorties longues ou dâintensitĂ© en solitaire mâont permis de me retrouver face Ă moi-mĂȘme, je devais me confronter Ă moi et mes Ă©motions. En fait, il nây avait plus personne Ă cĂŽtĂ© de moi sur qui je pouvais crier ou Ă qui je pouvais en vouloir. JâĂ©tais lâunique personne qui devait apprendre Ă gĂ©rer tout ce que je pensais et je ressentais. Jâai fait couler des milliers de larmes, jâai laissĂ© des millions de sourire et aujourdâhui je porte une tonne de fiertĂ© dâavoir pu me battre contre moi-mĂȘme avec moi-mĂȘme.
Quand jâallais mal, jâenfilais mes baskets pour me dĂ©fouler, sortir ma haine, Ă©liminer ma tristesse, faire entrer les endorphines pour me sentir mieux.
Quand jâallais bien, jâenfilais mes baskets pour prendre un maximum de plaisir.
Oui, le trail mâa un peu sauvĂ© ! Il a Ă©tĂ© lĂ dans le pire et dans le meilleur, il a su mâaccompagner et me soutenir tout en me montrant que jâĂ©tais la personne centrale, que tout dĂ©pendait de moi et que câĂ©tait Ă moi dâagir.
Simplement, quand on me demande ce que le trail et le sport mâapporte dans ma vie ?
Dans mon quotidien ?
Je nâai aucune hĂ©sitation Ă rĂ©pondre : un Ă©quilibre.
Le trail mâa permis de me dĂ©couvrir au plus profond, dâapprendre Ă me connaĂźtre par cĆur alors que jâĂ©tais une inconnue, de gĂ©rer mes Ă©motions lĂ oĂč je pouvais totalement exploser.
Le trail a Ă©tĂ© mâa bouĂ©e de secours autant que tes semelles orthopĂ©diques ont soignĂ© ta pĂ©riostite, pour lâhumour et la comparaison. Et je te parle de trail, et pas de course Ă pied, parce que le fait de me retrouver en nature a contribuĂ© à ça. Dans la nature on se sent hostile mais on doit pourtant se dĂ©brouiller seule et par soi-mĂȘme.
Encore une fois, ne mâen veux pas mais je pose mes idĂ©es comme ça, comme elles me viennent en tĂȘte. Je nâarrive pas Ă Ă©crire ce texte diffĂ©remment parce quâen pensant à ça, beaucoup trop de choses me viennent Ă lâesprit.
Parfois pendant une course, surtout quand elle est longue, je peux avoir un coup de moins bien alors je mâaccroche Ă tout ça en me disant que jâai vĂ©cu bien pire quâun coup de mou sur un trail qui pourra se rĂ©gler avec un simple verre de coca et ça passera. Souvent ce que tu vis dans ta vie quotidienne peut tâaider Ă tenir sur une course, en tout cas penses-y la prochaine fois ! On dit rĂ©guliĂšrement que lâon a tous une raison de courir, je crois que quand on dit ça on parle exactement ce que je viens de tâĂ©voquer. Mais du coup, lâinverse est vrai aussi. Tu vois, parfois jâai des moments un peu down (comme tout le monde) alors je me rappelle ce dont jâai Ă©tĂ© capable dans le sport et je me dis que si jâai pu faire 110km, je vais bien rĂ©ussir Ă passer ce moment un peu difficile.
Il y a trĂšs peu de temps, jâai arrĂȘtĂ© mon traitement, je crains de revivre tout ça mais en mĂȘme temps je sais que je suis capable le gĂ©rer, de le prĂ©venir. Jâai peur dans chaque sas de dĂ©part et pourtant tout se passe relativement bien en gĂ©nĂ©ral. Alors, jâai dĂ©cidĂ© quâĂ partir de maintenant, chaque matin sera une nouvelle course dont je prends le dĂ©part avec une petite apprĂ©hension mais toujours pour y vivre des moments plus beaux les uns que les autres et y ressentir des choses exceptionnelles le sourire aux lĂšvres. Câest comme ça que jâavance sur les sentiers alors autant lâappliquer Ă ma vie aussi.
Attention, ici je ne te dis pas que câest parce que des fois tu vas mal puis tu vas bien que tu es bipolaire. Je ne me livre pas Ă toi pour me plaindre ou pour embellir mon histoire. En fait, je me disais juste que partager ça, ça pourrait normaliser les mal-ĂȘtre psy ou encore motiver des personnes Ă se mettre au sport dans des moments difficiles. Je veux juste te partager une partie de mon histoire pour rendre la chose plus accessible, te montrer que tu nâes pas seule, que tu puisse discuter de ça avec un(e) ami(e) qui se trouve dans une situation compliquĂ©e par exemple.
Quand jâai dit Ă ma psy que jâavais peur de tout arrĂȘter, elle mâa rĂ©pondu : « Vous nâavez rien Ă craindre car vous faites tout pour aller bien : du sport, une alimentation Ă©quilibrĂ©e, une vie avec des horaires stables ».
PS : tu remarqueras que ma pratique du sport peut paraĂźtre tout autant extrĂȘme que les phases de ma maladie. Câest un sujet dont on a longtemps parlĂ© avec la psy, nous avons conclu que je fais rĂ©ellement ça par plaisir car je me sens mieux dans ces longues distances. Mais dâaprĂšs elle, il doit malgrĂ© tout y avoir une corrĂ©lation entre les deux et je dois veiller Ă ne pas aller trop dans lâextrĂȘme. Mais entre nous, je crois quâelle et moi nâavons pas la mĂȘme notion dâextrĂȘme.
Du coup, pour cette fois, il nây a pas vraiment de coup de cĆur car je nâai pas trouvĂ© dâathlĂšte Ă prĂ©senter dans ce mĂȘme sujet. Câest un sujet encore tabou, je nâai pas voulu aller chercher dans lâintimitĂ© de ceux qui âentourent. Mais ce que je te propose, câest de te partager des Ă©crits sur la bipolaritĂ© et le sport puis si tu as des questions nâhĂ©site pas Ă venir vers moi, je nâai pas peur de parler de ça.
Des guides, des explications :
â https://hub.vidal.fr/files/uploads/resources/pap_brochure-troubles-bipolaires_200218.pdf
â https://drive.google.com/file/d/1c5HPzeoECcQ_UN4-MhxIh_ob7uCWBkax/view?FIRSTNAME=tiffany&email=tiffany.prinz%40outlook.fr
â https://journalmamater.fr/2020/03/06/la-bipolarite-dans-le-sport/
â https://www.lebipolaire.com/lhygiene-de-vie-contrer-bipolarite/
â https://www.youtube.com/watch?v=veq7wta4pPU
Des exemples et des témoignages :
â https://bipolaritefrance.com/olivier-galli-athlete-et-ambassadeur-de-bipolarite-france
â https://www.nightline.fr/tete-la-premiere-emma-basket
â https://www.lalsace.fr/sport/2022/11/23/centlivre-l-homme-qui-se-soigne-a-velo
Aussi, ce qui est vrai pour un bipolaire est vrai pour tout le monde, ton hygiÚne de vie et le sport ne pourra que te faire te sentir mieux en général.
Si jâai osĂ© te dire tout ça câest parce que jâai parcouru beaucoup de chemin et aussi parce que lors de ma derniĂšre sortie longue jâai Ă©coutĂ© lâĂ©pisode « Baptiste Chassagne â Quand la fragilitĂ© devient une force » du podcast Extraterrien oĂč Baptiste Chassagne ainsi que BarthĂ©lĂ©my Fendt se livrent eux mĂȘme sur des parties qui pourraient rester bien cachĂ©es aux yeux de tous mais quâil semble important de dire pour faire avancer certaines choses.
Article Tif Prinz